«Nulla dies sine linea.»
«Pas un jour sans tracer une ligne, sans peindre»
Pline l’Ancien
Pline l’Ancien
« Chélidoines » ou grande éclaire, herbe à verrues, herbe aux boucs, herbe de Sainte Claire, lait de sorcière, herbe de l’hirondelle, sologne, félongène, felougne, arondelière… Quelle drôle d’idée pour nommer un atelier d’enluminure !
Pourtant mes recherches et puis mon coeur surtout m’ont conduite à cette «herbe» pour plusieurs raisons. Je vais en partager quelques unes avec vous… sans doute les plus belles… celles qui me font y mettre un «s»…
La première nous rapporte une légende : «Chélidoine» viendrait du mot grec «Khélidôn» qui veut dire «Hirondelle». En effet, de la tige de cette herbe, dite aux hirondelles, coule un latex ou lait jaune grâce auquel les mères hirondelles redonnaient la vue à leurs petits, nés aveugles.
De cette histoire, il m’a plu d’en tirer une métaphore : l’enluminure, à l’origine «art des cloîtres», avait pour vocation de «mettre en lumière» les Ecritures Saintes, «seule vérité» en ces temps, pour mieux les transmettre. Ainsi en pleine « campagne d’évangélisation », cet art, telle la chélidoine salvatrice de ces hirondeaux aveugles, a permis de donner ou de redonner la vue à un peuple souvent illettré.
Dans le langage des fleurs, la chélidoine est symbole de lumière… Et dans l’architecture romane, également, les feuilles de chélidoine souvent confondues avec les feuilles d’acanthe, venues de l’Antiquité, sont associées à la chouette… Toute une allégorie…
Une autre raison, certes un peu plus farfelue, mais pas dénuée de charme : l’étymologie populaire veut donner comme origine le latin «coeli donum» (don du ciel) : la grande chélidoine était considérée depuis des temps reculés comme une plante magique associée à la magie noire. Il n’en fallait pas davantage pour que les alchimistes du Moyen-Age, corps et âme voués à la recherche de la formule pour fabriquer l’or, voient dans la sève jaune de la grande éclaire, le moyen de transformer les vils métaux en or. Si l’histoire a démontré l’échec de cette théorie, il n’en reste pas moins qu’à partir de cette plante, nous pouvons fabriquer un très beau pigment jaune !
Enfin, et c’est la raison la plus intime : la chélidoine, presque une mauvaise herbe, résonne particulièrement en moi. Cette fleur, discrète, et humble, qui a choisi, des ruines ou un simple bord de chemin pour éclore fait particulièrement écho à mon parcours un peu «cabossé» pour arriver jusqu’à vous… Telle cette fleur mystérieuse qui s’épanouit dans les décombres, comme pour ne pas déranger, avec mon art, je prends maintenant, moi aussi, mon envol… pour livrer, à qui veut bien voir, mes plus beaux pétales… de lumière…
A vrai dire, je ne sais pas quand ni comment mon chemin a pu croiser celui de ces moines-peintres qui ont fait de leurs monastères, le berceau de l’enluminure. Ce savoir-faire, d’abord utile et exigeant dans un souci mnémotechnique, puis raffiné et de plus en plus esthétique, a «illuminé», d’une certaine façon, le Moyen-Âge ; une période de l’histoire pourtant réputée sombre et barbare…
Peut-être alors, les enluminures en sont d’autant plus lumineuses qu’elles naissent à côté des champs de bataille et de misère ?
Originellement et dans tous les sens du terme, l’enluminure ou l’art «de mettre en lumière» les Saintes écritures, renferme de véritables chefs-d’oeuvres, que je n’imagine pas être l’oeuvre de la main de l’homme seul. Dans le secret et le silence d’un scriptorium, mais née aussi dans des conditions que nous jugerions aujourd’hui inhumaines, l’enluminure m’apparaît comme une peinture mystique, inspirée du Ciel, et portée par l’Esprit.
Comment ne pas être ébloui par ce petit morceau d’or, si rare et si précieux délicatement posé sur le parchemin. Comment ne pas être ému devant tant de coeur mis à l’ouvrage ? L’enluminure, entre terre et ciel, a le pouvoir extraordinaire de faire rêver…
Ce qui me passionne dans cet art, c’est la fausse naïveté qui se dégage de chaque miniature, c’est parfois l’émouvante maladresse de l’enlumineur qui ignore les lois de la perspective et des proportions et qui parvient malgré tout à délivrer un message beau et sensé, c’est l’impensable envie de montrer une vérité que l’on n’a jamais vue : les bestiaires médiévaux en sont une démonstration passionnante. Ce sont les étonnants grotesques ou drôleries qui donnent vie aux marges, par lesquels le peintre se révèle sous un jour à la fois tendre, drôle mais aussi provocateur ! Mais c’est aussi l’incroyable chance d’étudier les chefs-d’oeuvres de grands maîtres, précurseurs en matière d’art pictural, qui nous sont parvenus en traversant les siècles et les turpitudes d’un monde en constante mutation…
Un patrimoine inestimable !
Non seulement riches en symboles et de vérités sur la nature humaine, ces toutes petites créations témoignent aussi d’une société : entre ironie, humour, folie, et visions crues aussi, nous entrons dans un monde surprenant et comprenons mieux ce qu’était la vie en ces temps : et si sous certains aspects, le Moyen-Age devenait une période ingénieuse et non dénuée de sentiments ?
Sans conteste, les chroniques d’hier valent bien n’importe quels manuels scolaires d’aujourd’hui. Ces «petites lumières», au fil des collections et des nouvelles découvertes n’ont pas fini de nous raconter des histoires… de nous apprendre l’Histoire…
Si le métier d’enlumineur, savoir-faire rare et méconnu, n’est pas tout à fait «orphelin» (cf. Institut Supérieur Européen de l’Enluminure et du Manuscrit (INSEEM)), comme tant d’autres artistes et artisans, je suis autodidacte : une approche du métier portée par la passion, la rigueur et le courage et puis un jour Une Rencontre…
Annette et Éric BRISSON-FARGES, les premiers sur mon parcours, m’ont ouvert les portes de leur atelier «La Feuille d’Acanthe» en Normandie. Avec eux, bien plus qu’un enseignement, j’ai reçu la certitude que cet art pouvait être le mien et c’est toute ma vie qui en a été bouleversée. Avec eux, je me suis trouvée… enfin ! Je n’avais pas prévu de les quitter, mais la vie et ses drames en ont décidé autrement… La Feuille d’Acanthe a définitivement posé ses pinceaux !
Il m’a fallu ne pas perdre du coeur, mon rêve, ni de vue mon horizon professionnel ! Alors, j’ai osé, avec deux ou trois travaux en poche, me présenter à Renaud Marlier, un maître en la matière. Une révélation ! C’était en novembre 2013… et depuis, c’est lui qui me fait «grandir» encore et encore…
S’il me semble que par nature, ce métier «me va bien», dans la solitude de mon atelier, ma peinture naît entre doutes et dépassement de moi-même : elle n’est ni innée, ni aisée, elle est un travail de tous les jours !